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Titre du blog : L'URBANISTE QUI TENTE L'URBANISME DURABLE
Auteur : urbaniste
Date de création : 23-08-2008
 
posté le 03-09-2008 à 07:39:17

LES INTERCOMMUNALITES ET L'URBANISME (in L'URBAIN)

Dominique Musslin est vice-président de la Société française des urbanistes (SFU) et membre de l’Union régionale des associations d’urbanistes. Pour lui, il n’y aura point de gestion efficace des questions d’urbanisme sans un transfert à moyen terme des décisions à l’échelle intercommunale.

Propos recueillis par Béatrice Mathiot

 

L’Urbain : Vous dites que le contexte réglementaire actuel de l’urbanisme ne vous satisfait pas…

Dominique Musslin : Le système actuel repose sur 36 000 communes, toujours les mêmes depuis leur création, peu après la Révolution française. Une rupture est intervenue à travers la loi Chevènement de 1999 qui donne la possibilité de créer des systèmes plus larges : les communautés, financées par la taxe professionnelle.

C’est un acquis positif, mais ce qui pose problème, aujourd’hui, c’est l’effet millefeuilles. Unité de base de la communauté, la commune élabore son plan local d’urbanisme (PLU), gère les politiques foncières et les droits de préemption. Le maire continue à signer les permis de construire. La communauté, pour sa part - de communes ou d’agglomération - fabrique de nouveaux “machins” : des programmes locaux de l’habitat (PLH), des plans de déplacements urbains (PDU), bientôt probablement des plans climat, des schémas d’urbanisme commerciaux, etc.

Troisième strate, on établit des Scot (schéma de cohérence territoriale), à l’échelle - plus large - de l’aire urbaine. L’imbroglio commence là, avec des Scot qui rassemblent des intercommunalités et qui donnent des orientations pour des PLU gérés par… les villes. Dans la même veine, les SRADT (schéma régional d’aménagement et de développement du territoire) sont censés être coordonnés avec les Scot. “Censés”. Quand vous lisez celui de Paca, vous vous demandez où est la partie “propositions” et où est la partie “contraintes”. Les directives territoriales d’aménagement (DTA) qui ont pour vocation de donner du sens à tout cela cherchent surtout à ne choquer personne.

Nouvelles couches du mille-feuilles : les syndicats mixtes qui interviennent en matière de feux de forêts, d’hydrauliques, d’équipements… Pour ce qui est des transports, par exemple, les PDU prennent en considération les voitures et les bus, mais ils n’intègrent pas les transports ferroviaires régionaux ou les lignes de cars départementaux.

Dans le cas des établissements fonciers, autre exemple, énième strate, les collectivités locales qui ont les compétences en matière d’urbanisme ne peuvent être que demandeuses, et non pas donneurs d’ordre. On peut encore pointer des dizaines de couches. C’est un enchevêtrement, une usine à gaz.

 

L’Urbain : Quelles sont les pistes de réforme que vous préconisez ?

Dominique Musslin : Aujourd’hui, quand vous faites de l’urbanisme au niveau local, vous passez 80 % de votre temps à coordonner les informations émanant de la dizaine d’organismes qui gèrent les politiques d’urbanisme. L’émiettement des choses les rend globalement inefficaces. Il faut simplifier tout cela en prenant comme “brique de base” de la construction de l’urbanisme, la communauté (de communes ou d’agglomération). Dotée d’une logique territoriale forte, la communauté doit être considérée comme l’outil majeur de la décentralisation. Au-delà de la question fiscale, toutes les compétences en matière d’espace et d’aménagement doivent lui être confiées.

Il faut par ailleurs un seul “document-mère”, qu’on pourrait appeler “plan communautaire d’urbanisme”, les autres plans et schémas en devenant de simples volets. Tous les droits de préemption devraient passer sous la responsabilité de l’intercommunalité, ainsi dotée de véritables moyens d’actions, de leviers puissants.

L’émiettement a donné le pouvoir aux techniciens, la gestion communautaire de l’urbanisme le rendrait aux élus qui ont, pour la plupart, heureusement, pris conscience de l’ampleur des enjeux : la consommation de l’espace et la mobilité. Sur le premier point, il faut arrêter les vœux pieux et se fixer des objectifs quantifiés. Quand l’ensemble des activités humaines suit une courbe ascendante en matière d’occupation du sol, les 40 Scot de la façade méditerranéenne continuent de s’appuyer sur des préconisations très souples, de l’ordre de 20 logements à l’hectare. Le constat est le même en ce qui concerne les déplacements. En matière ferroviaire, la mobilité régionale s’est réduite depuis l’arrivée du TGV : on continue à construire des logements qui ne peuvent être desservis que par l’automobile…

Tous les objectifs que l’on se fixe adoptent un rythme d’évolution lent alors que nous n’avons plus de temps. Aujourd’hui, un changement de registre et de culture s’impose. Il est plus que raisonnable à l’heure actuelle d’avoir de grandes ambitions sur les infrastructures, notamment les réseaux ferroviaires TER en développant les transferts modaux. Les implantations logistiques telles qu’on les réalise encore en ce moment, à proximité des autoroutes et sans aucun accès aux voies ferrées, sont condamnées à se transformer en friches en moins de dix ans.

 

L’Urbain : Dans le contexte actuel de désengagement financier de l’État et de réduction budgétaire généralisée, les arbitrages ne seront pas favorables aux grands travaux d’infrastructures… Comment voyez-vous évoluer les choses ?

Dominique Musslin : Quand la SNCF se repositionne en rachetant Geodis, c’est un signe de l’intérêt des gros acteurs économiques du secteur des transports pour le fret ferroviaire. Aujourd’hui, on n’est plus à l’ère de la volonté, mais déjà à celle de la nécessité. La pression économique est imparable : très bientôt, on aura tout intérêt à se pencher réellement sur les problèmes. Et on trouvera les solutions. Si le Grenelle de l’environnement se contente d’ajouter trois nouvelles couches au mille-feuilles, comme les plans climats, c’est inutile. Aujourd’hui, le problème est facilement identifiable : le pouvoir local est sous tutelle de l’administration, y compris territoriale. Le blocage ne vient pas des élus mais du système administratif qui fonctionne de façon trop personnalisée. On n’est même plus dans une logique bureaucratique.

Les maires ne possèdent la gestion locale de l’urbanisme qu’en apparence seulement. Ils sont sous l’emprise totale du technique. Un maire qui voudrait imposer 30 % de logements sociaux à un promoteur se retrouverait en porte-à-faux avec le PLH et donc dans l’illégalité. L’initiative politique est asphyxiée. Le développement durable peut être l’occasion d’une remise à plat.

Pour autant, la faiblesse n’est pas, à mon sens, purement réglementaire ou législative. Il s’agit plutôt d’un problème d’affichage. En Paca, on est encore réticent à annoncer de grosses densités de logements. Pourtant, les mœurs ont évolué : vivre à la campagne, c’était bien au siècle dernier… Les promoteurs ont fini par intégrer, par exemple, la notion de chrono-urbanisme, qui met en lumière la prééminence du temps de déplacement sur le coût. Quant à nous, urbanistes, il faut aussi que nous sachions balayer devant notre porte, en sacrifiant à la simplification. Trouver de façon urgente un langage commun et compréhensible par les collectivités territoriales, par exemple. Notre rôle doit être pédagogique et positif. Bien loin du catastrophisme, il faut considérer que le développement durable est une chance pour l’urbanisme.