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Titre du blog : L'URBANISTE QUI TENTE L'URBANISME DURABLE
Auteur : urbaniste
Date de création : 23-08-2008
 
posté le 23-11-2008 à 15:01:23

La mondialisation mise en images Paul Virilio, météopolitologue

A la Fondation Cartier, Depardon et Virilio auscultent la "Terre natale"

PARIS, 21 nov 2008 (AFP) - 21/11/2008 15h31 - Le photographe-cinéaste Raymond Depardon et l'urbaniste-essayiste Paul Virilio confrontent leurs regards sur les migrations et l'enracinement, dans l'exposition "Terre natale, ailleurs commence ici", jusqu'au 15 mars 2009 à la Fondation Cartier. Théoricien de "la fin de l'espace géographique" et la "pollution des distances", le second a publié de nombreux essais où il réfléchit à la notion de sédentarité, qu'il juge remise en question par les migrations contemporaines.

 

Repères : Paul Virilio est né en 1932. Il est professeur à l'Ecole spéciale d'architecture à Paris, dont il fut directeur et président entre 1968 et 1998. Urbaniste et essayiste, spécialiste des questions stratégiques concernant les nouvelles technologies, il a notamment publié, chez Galilée, La Bombe informatique (1998), Ville panique (2004), L'Art à perte de vue (2005) et L'Université du désastre (2007). En 2002, sous le titre "Ce qui arrive", il a présenté à la Fondation Cartier une exposition sur l'accident dans l'histoire contemporaine.

 

La mondialisation mise en images

Paul Virilio, météopolitologue (in Le Monde 2)


Casquette sur l'œil, Paul Virilio vous reçoit devant les grandes baies de la médiathèque de La Rochelle (Charente-Maritime), où il vit. Cela fait trente ans que l'homme réfléchit à un phénomène excessivement industriel, aujourd'hui électronique, médiatique, boursier-universel : la vitesse, qui a bouleversé notre époque. "Entendez l'extraordinaire accélération que connaissent les transports terrestres, aériens, spatiaux, qui rapetissent notre Terre, mais aussi les communications et les télécommunications qui abolissent le temps et les distances pour nous faire vivre dans l'instantané."

Réfléchir à la vitesse emballée du monde a mené Paul Virilio à s'interroger à la possibilité de "la perte de contrôle" – de l'accident à grande vitesse aux conséquences incontrôlables, qu'il soit "informatique, ferroviaire ou nucléaire". Etudier les rythmes précipités des médias, des écrans omniprésents, de l'information en temps réel, des cotations financières immédiates lui a révélé "la dictature du présent" – au profit de l'analyse critique, de la mémoire, du recul. Mais aussi ses effets dévastateurs directs : virus informatiques, paniques boursières, rumeurs faisant le tour du monde… à toute vitesse. "Nous vivons tous en ubiquité, continue Paul Virilio, réagissant à coups d'affects collectifs, selon des rythmes inconnus qui n'ont plus rien à voir avec les rythmes terrestres, diurnes ou saisonniers. Après l'ère révolutionnaire, après le chant du progrès, nous entrons dans l'ère révélationnaire. La révélation que le monde est fini, menacé d'épuisement, devenu trop petit pour nos sciences, nos techniques, nos machines – le deus ex machina. Trop petit pour nous les hommes pressés, compressés, de plus en plus nombreux. Une révélation qui blesse notre arrogance." Examiner sans illusion lyrique, rationnellement, les envers et les revers du progrès, telle est la mission que s'est assignée Paul Virilio, l'ami de Jean Baudrillard et d'Edgar Morin, l'empêcheur de chanter les prouesses techniques en rond.

Ce qui est en l'air

Dans les sous-sols de l'exposition "Terre natale. Ailleurs commence ici" de la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paul Virilio a installé ce qu'il appelle une "station météo" – en vérité une grande carte terrestre où défilent quantités d'informations sur les mouvements climatiques, tornades, submersions, sécheresses, mais aussi sur les énormes migrations de matières vivantes sur Terre : hommes, ressources, nourriture. Pourquoi ? " J'ai cherché à montrer la dimension cosmique de la tragédie en cours. L'homme a transformé jusqu'au manteau vivant terrestre, la géologie, la qualité et le niveau des océans, il agit au niveau planétaire. Après l'époque totalitaire, voici les temps globalitaires. L'homme n'appartient plus seulement au sol, à la géopolitique, il envahit l'espace avec ses avions supersoniques, ses bombardiers stratégiques, ses satellites qui surveillent la Terre à chaque seconde, la criblant d'ondes électromagnétiques, cela tout en polluant l'atmosphère – peut-être irrémédiablement." Ce faisant, la géopolitique du siècle dernier est devenue une "météopolitique". Impossible de réfléchir à la politique des Etats nations, des frontières, des libertés individuelles, sans tenir compte des nouvelles données météorologiques au sens large : du réchauffement climatique aux capacités d'espionnage instantané via le ciel, d'attaques surprises par des bombes téléguidées, d'information et de désinformation massive par les télécommunications, de brouillage informatique. Désormais, nous dépendons de l'espace, de ce " qui est en l'air " (mete ôros, en grec). Nous sommes entrés dans l'" aéropolitique ".

Sa seconde installation de la Fondation Cartier, Paul Virilio l'appelle le "stock exchange". Il s'agit encore d'une carte animée, représentant les mouvements de population autour du monde : migrations consécutives au réchauffement planétaire, aux famines, aux guerres, flux de réfugiés et de travailleurs clandestins, délocalisation des mains-d'œuvre, déplacements de travailleurs en Inde, en Chine, pérégrinations touristiques. "Selon l'ONG Christian Aid, environ 1 milliard de personnes vont être déplacées d'ici à 2050, explique-t-il. Les chiffres sont contestés me dites-vous, cependant beaucoup d'experts s'accordent sur le fait qu'au moins 200 millions d'individus devront quitter les zones subtropicales à cause des sécheresses. Il faut ajouter les dizaines et dizaines de millions repoussés par les grands projets hydrauliques et l'exploitation minière. Les populations fuyant les zones côtières, abondantes en grandes villes, submergées. Sans oublier tous ceux qui vont fuir les régions pauvres, surpeuplées, et les conflits engendrés par ces bouleversements. Il faut s'attendre à une explosion migratoire sans précédent. Tous nos concepts classiques sur nomades et sédentaires s'en trouvent disqualifiés." Dans un futur proche, selon Paul Virilio, quand les migrations deviendront de plus en plus massives, les mouvements individuels plus rapides, la plupart des hommes se transformeront les uns en "nomades partout chez eux" – avec les technologies portables, les téléphones, les caméras qui les suivront à la trace. Les autres deviendront des "sédentaires habitant nulle part" : ceux qui vivront dans les camps de réfugiés, les centres de rétention, les dortoirs de travailleurs, les bidonvilles. "Nous entrons dans un nouveau monde de circulation habitable qui se traduira par la croisière au long cours des exilés climatiques, des ouvriers —déplacés par l'externalisation des profits, des prolétaires flottant d'une région à l'autre et des individus équipés d' emportables . Il faut imaginer la fin de la sédentarité, le début d'une grande déportation. C'est une situation sans —précédent dans l'histoire. "