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Titre du blog : L'URBANISTE QUI TENTE L'URBANISME DURABLE
Auteur : urbaniste
Date de création : 23-08-2008
 
posté le 05-01-2009 à 08:57:12

Grand chambardement en Méditerranée IN Le Monde

Grand chambardement
en Méditerranée
LE MONDE | 02.01.09 | 14h23  •  Mis à jour le 02.01.09 | 18h50

es dockers grecs ont dénoncé, manifesté, paralysé à 70 % le port de conteneurs du Pirée... Mais rien n'y a fait. Le 25 novembre, le président chinois Hu Jintao est venu à Athènes pour signer un accord global d'un montant de 300 millions d'euros. L'Etat grec a confié à l'armateur public chinois Cosco le soin de construire d'ici à 2015 et de gérer pendant trente-cinq ans un, puis deux nouveaux terminaux de conteneurs dans le port du Pirée.


Les dockers le savent depuis longtemps : tout accord qui étend l'empire du conteneur programme un peu plus la disparition de la manutention humaine. Ce parallélépipède métallique de dimension variable conditionne aujourd'hui toutes les marchandises, ce qui autorise une mécanisation totale de la manutention des ports, réduit le nombre de vols... et oblige les dockers à changer de métier.

Ainsi, quand un navire comme le porte-conteneurs Berlioz, de la compagnie française CMA-CGM, fait escale à Malte avec un chargement de plus de 4 500 conteneurs, il ne faut pas plus d'une quinzaine d'heures pour débarquer 800 conteneurs et en embarquer 140 autres. Après ce transbordement, le Berlioz reprendra sa route vers les ports d'Europe du Nord via Gibraltar. Les rapports de force sont en train de se modifier en Méditerranée. Depuis une dizaine d'années, mondialisation oblige, la "Mare nostrum" est devenue un sous-ensemble de "l'océan mondial". Bien qu'il n'existe pas d'observatoire officiel, les experts de l'OTAN estiment que 3 000 navires commerciaux franchissent chaque jour le détroit de Gibraltar, dont un tiers de pétroliers et un tiers de porte- conteneurs.

L'essor (plus de 10 % par an) du commerce par conteneurs en Méditerranée a entraîné une redistribution des cartes. Les vrais maîtres du jeu ne sont plus les caboteurs, les ports - symboles de puissance nationale - et moins encore les dockers, mais les armateurs de porte-conteneurs. En l'espace de vingt ans, les entreprises d'armement maritime sont devenues des multinationales qui gèrent des réseaux. Pour répondre à la demande des fabricants de jouets, de produits chimiques, de meubles ou d'ordinateurs qui ont délocalisé en Chine, les armateurs se sont regroupés et concentrés pour fournir un service complet, régulier, de l'usine au magasin et à jours fixes.

"Cosco construit en Méditerranée, bâtit un réseau, c'est ce que nous avons fait nous-mêmes", explique Nicolas Sartini, directeur des lignes Asie-Europe de la compagnie de transport maritime CMA-CGM. Le réseau, formé de points d'ancrage fixes, permet de mettre en place des lignes régulières, à fréquence et itinéraires fixes, avec des délais d'acheminement préétablis.

A Malte, où la CMA-CGM est concessionnaire pour les soixante prochaines années, neuf porte-conteneurs forment une ligne d'"autobus marins" qui acheminent des marchandises des ports de Chine vers l'Europe du Nord, par le canal de Suez, Malte et Gibraltar. "Chaque bateau fait le tour en soixante-trois jours, ce qui fait une escale par semaine à Malte. On pourrait le faire avec huit bateaux seulement en forçant les machines, mais le coût du carburant risque alors de dévorer et au-delà le gain de productivité", explique Jean Labbé, le commandant du Berlioz. Cette ligne CMA-CGM est évidemment en concurrence ouverte avec les lignes régulières des autres armateurs, comme le danois Maersk ou le chinois Cosco.

La guerre entre les armateurs spécialisés dans le conteneur a bouleversé l'économie traditionnelle du commerce en Méditerranée. "Les ports européens se sont trouvés dans l'obligation d'investir pour attirer l'attention des armateurs et capter une part plus importante du trafic de conteneurs" , explique Chantal Helman, directrice de la stratégie du port de Marseille. Des puissances portuaires traditionnelles, comme Marseille ou Le Pirée, ont perdu de l'importance, soit en raison de coûts salariaux élevés, soit en raison d'une mauvaise position géographique. Des petites taches sur la carte comme Malte, Gioa Tauro (Italie) ou Algésiras (Espagne) émergent comme d'authentiques capitales d'empires maritimes en Méditerranée. Le port de Malte a ainsi accueilli "1 900 navires en 2008, dont 700 gros porte-conteneurs", indique John Portelli, directeur général de Malta Freeport.

C'est sous l'impulsion des armateurs que les fonctions des ports ont changé. Comme les grandes compagnies aériennes l'ont fait dans l'aéronautique, les grands armements ont investi lourdement dans la construction de "hubs" au sein de l'espace maritime méditerranéen. Soit des ports de redistribution. Les hubs servent avant tout à accueillir "les plus gros bateaux, les décharger rapidement et redistribuer la marchandise sur des bateaux plus petits qui desservent alors des dizaines d'autres ports", explique Elizabeth Gouvernal, chercheuse spécialisée dans l'économie des transports. Un gros hub comme il en existe à Rotterdam ou Bremerhaven, en Allemagne, peut accueillir et décharger "entre 40 et 50 porte-conteneurs par semaine" explique un porte-parole de Maersk, le numéro un mondial du secteur.

Tel est le sens de l'accord conclu entre le port du Pirée et le chinois Cosco : la redistribution. "Le Pirée est très bien situé pour desservir les ports de la mer Noire, une aire géographique de 300 millions de consommateurs qui inclut des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, l'Ukraine et le sud de la Russie", explique Nikolaos Anastassopoulos, PDG du Port du Pirée. Malgré la récession mondiale, les investissements pour l'après-crise se poursuivent. La Chine et Le Pirée se positionnent aujourd'hui pour tirer parti du développement économique inévitable des ex-pays de l'Est. "Ces pays ont tous une croissance économique à deux chiffres. Leur importance économique va s'accroître", analyse M. Anastassopoulos.

Tabler sur le développement économique d'une zone géographique oblige-t-il pour autant à devenir concessionnaire pour les trente-cinq prochaines années ? Ce coûteux système permet de donner une priorité aux bateaux de l'armateur concessionnaire. Un porte-conteneurs de 6 000 "boîtes", qui aurait à attendre une journée qu'on le décharge, perdrait entre 80 000 et 100 000 dollars (57 000 à 71 569 euros).

Compte tenu de ces coûts quotidiens, un port a d'autant plus vocation à devenir un hub qu'il évite au bateau le moindre écart. "Malte, notre hub principal en Méditerranée, est en ligne droite entre le canal de Suez et Gibraltar", se félicite Nicolas Sartini. Malta Freeport prévoit de passer de 2 à 3 millions de conteneurs d'ici à 2012 et a renégocié avec le gouvernement maltais une prolongation de sa concession de trente à soixante ans. CMA-CGM prévoit d'investir 100 millions d'euros pour accroître les capacités de traitement du hub de Malte. "La croissance du trafic de conteneurs a été à deux chiffres au cours de ces dernières années. Si bien que le risque de faire face à un manque de capacités portuaires était réel", explique Nicolas Sartini.

La récession qui pointe va-t-elle enrayer ce développement ? Les dirigeants de CMA-CGM nient une réduction des échanges. Mais il ne fait guère de doute que cette position ne saurait tenir longtemps. L'activité des hubs est liée à la conjoncture. Elle finira par fléchir. Un responsable d'APM Terminals, une filiale de Maersk, estime prudemment que "tous les projets doivent être réévalués de temps en temps et la récession est une bonne occasion de procéder à de nouvelles analyses. Mais il ne s'agit pas de remettre en question le principe". La récession a déjà pour conséquence d'accroître la compétition entre les hubs : Malte tente déjà de séduire des clients du hub de Maersk à Gioa Tauro.

Dans cette compétition engendrée par le conteneur, quel peut être l'avenir des ports "d'hinterland", ceux qui ont pour vocation de servir un arrière-pays et un bassin de population ? Marseille, Valence, Barcelone... ont tous des programmes d'investissement dans l'accueil des porte-conteneurs qu'ils ne remettent pas en question. Jean-Claude Terrier, le nouveau patron du Port autonome de Marseille, affirme que "pour les ports, les batailles se gagnent à terre". La qualité de ses liaisons avec les transporteurs fluviaux, la proximité de Marseille avec Lyon, la Suisse et l'axe Rhin-Rhône laissent envisager à Marseille un avenir prometteur. Deux extensions sont prévues pour l'accueil des conteneurs. Marseille espère ainsi reconquérir le trafic que des problèmes sociaux complexes avec ses dockers et des coûts salariaux élevés lui ont fait perdre.

Cette idée que les batailles maritimes se gagnent aussi à terre est confirmée par le fait que CMA-CGM et la Deutsche Bahn (DB), la société allemande de chemins de fer, envisagent de collaborer dans le transport de conteneurs. Le 11 décembre, le quotidien économique allemand Handelsblatt indiquait que Jacques Saadé, président de CMA-CGM, allait rencontrer en février le président du groupe ferroviaire allemand, Hartmut Mehdorn. Les deux groupes n'ont pas démenti, mais observent la plus grande discrétion à ce sujet. Il n'est donc pas exclu que la récession qui pointe accélère les mutations plutôt qu'elle ne les freine.


Yves Mamou La Valette , envoyé spécial
Article paru dans l'édition du 03.01.09