Titre du blog : L'URBANISTE QUI TENTE L'URBANISME DURABLE
Auteur : urbaniste
Date de création : 23-08-2008
posté le 14-04-2009 à 10:51:25
Ecoquartiers : "Le risque en France serait de se contenter d'un effet vitrine" (IN La gazette des communes)
Alors
que la semaine du développement durable, qui se déroulait du 1er au 7
avril 2009 vient de s’achever, Catherine Charlot-Valdieu, présidente du
Réseau européen pour un développement urbain durable (Suden) et
Philippe Outrequin, coauteurs d’un ouvrage sur le développement durable
et les écoquartiers * qui vient de paraître, reviennent, dans une
interview accordée à la Gazette des Communes, sur la notion très en
vogue d’«écoquartiers».
Pouvez-vous rappeler ce qui définit un éco-quartier ?
L’urbanisme
durable est caractérisé par une nouvelle façon de penser et d’agir qui
se manifeste à travers 4 éléments majeurs : une «démarche projet»
raisonnant en cycle (eau, énergie, matériaux) ou par écosystème
(déchets, flux) et centrée sur la cohérence économique ; une démarche
qui associe le sensible (l’architecture) et
l'ingénierie technique et économique (objectifs de performance et
processus d'évaluation) ; la prise en compte du long terme
: économie de ressources naturelles, investissements évités (réseaux),
prévention et lutte contre le changement climatique ; une nouvelle gouvernance
qui s’appuie sur des partenariats multiples (public-privé,
entreprises-clients…) et de nouvelles règles de marché (PPP, dialogue
compétitif...), d'une part, et la participation de différents acteurs
d'autre part.
Outre ces 4 éléments majeurs, un projet d'écoquartier
doit comprendre 4 caractéristiques indissociables : il répond aux
enjeux majeurs de la planète (effet de serre, épuisement des ressources
naturelles, préservation de la biodiversité). Il doit aussi répondre
aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de la commune ou de
l'agglomération en terme d’emplois et activités, de mixités, d’équité
sociale. Il participe aussi au besoin d'attractivité des villes :
mobilité, culture... Il vise à améliorer la qualité de la vie de ses
habitants et usagers : réduction des nuisances, qualité globale
(environnementale mais aussi architecturale, d'usage...) des bâtiments
et des espaces publics, synergie territoriale, synergie thématique (eau
par exemple ...).
Il doit enfin favoriser la durabilité de la
commune ou de l'agglomération : stratégie d'amélioration continue,
reproductibilité ou transférabilité...
La Caisse des
Dépôts et Consignations qui a annoncé le 27 mars 2009 un soutien
financier de 1,3 million d'euros à 15 projets d'éco-quartiers, recense
une centaine de projets en France. Etes-vous d'accord avec ce chiffre ?
Le ministère de l’Energie, de l'environnement, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT)
a reçu 160 dossiers ou projets d'écoquartier pour son appel à projets,
clos depuis le 31 mars 2009. De notre côté, nous avons identifié début
2009 plus de 100 projets évoqués dans la presse professionnelle ou
nationale.
Toutefois la question qui se pose maintenant est double
: Combien de ces projets sont de véritables projets d'écoquartier ?
Combien aboutiront ?
En effet, un projet d'écoquartier est un projet
à long terme et nombreux sont ceux qui ne vont pas jusqu'à la
réalisation effective, pour des raisons politiques ou économiques
notamment. Ainsi, par exemple, le projet de quartier du Théâtre à
Narbonne a reçu plusieurs médailles de développement durable (dont fin
2006 les Rubans du développement durable
décernés par le Comité 21, Dexia, l’AMF et l’AMGVF). Mais, en 2008, la
nouvelle municipalité a décidé d'abandonner ce projet de quartier "zéro
émission de gaz à effet de serre".
Quels aspects, ou étapes, les élus qui souhaitent réaliser des éco-quartiers doivent-ils améliorer ?
Il
n'y a pas de réponse générale, chaque projet étant spécifique. Nous
signalerons cependant 3 points faibles dans les projets actuels en
France :
L’évaluation : il y a, en France, très
peu de méthodes et d'outils d'évaluation. De plus le processus
d'évaluation est très rarement défini en amont des projets et est
souvent limité à un tableau de bord d'indicateurs binaires très simples
comme dans de nombreux Agendas 21.
Deuxième point, les partenariats : il faudrait donner plus de poids aux partenariats en amont. Enfin, l’ingénierie technique et économique : approche écosystémique, analyse des cycles, analyse en coût global élargi, notamment.
L'Agence
nationale de rénovation urbaine (Anru) joue-t-elle son rôle dans la
création/réhabilitation de quartiers en éco-quartiers ?
Nous
ne nous permettons pas de juger du rôle de l’Anru, il y a pour cela un
Comité d’évaluation constitué de divers experts. Cela dit, dans un
interview au Monde du 21 mars, j’ai [Catherine Charlot-Valdieu, ndrl]
fait référence à l’énergie, laquelle n’a pas été prise en compte dans
de nombreux projets de renouvellement urbain contractualisés avec
l’Anru. Et ceci pour 4 raisons, outre la méconnaissance des travaux des
chercheurs (comme la démarche HQE2R de transformation durable des quartiers par exemple) :
Une raison liée à la réglementation : en effet la réglementation actuelle (DGUHC) exige un diagnostic urbain et social alors qu’il faudrait réaliser un diagnostic partagé de développement durable du quartier.
Une raison structurelle
ensuite : les agents de l’Anru sont principalement issus de la
Délégation interministérielle à la ville (DIV). L’Anru n'a pas recruté
d'économistes ni d'environnementalistes ni d'experts du développement
urbain durable.
En troisième lieu, il faut citer l’absence de transversalité
des actions menées par les services de l’Etat et notamment de l’Anru et
de l’Ademe - laquelle aurait pu combler l'absence
d'environnementalistes - ou une collaboration trop tardive des deux
organismes.
Une raison culturelle enfin : l’absence
de stratégies d’évaluation définies très en amont des projets et
centrées sur l’intérêt général (pour lequel des indicateurs ont été
définis par l’Etat, comme la valeur de la tonne de carbone par exemple).
Pourriez-vous citer quelques exemples d'éco-quartiers qui fonctionnent bien en France ?
Nous
pouvons citer La Courrouze, à Rennes, projet qui n’est pas le premier
essai de la ville. Avant, il y a déjà eu La Poterie et Beauregard, par
exemple. Les élus de Rennes, comme ceux de Fribourg (Suisse), ont
élaboré depuis longtemps une stratégie de développement durable de leur
territoire et différents outils tels qu’un plan local d’urbanisme qui
intègre des préoccupations environnementales, un plan local de
l’habitat qui renforce la mixité et l’équité sur le territoire, un
référentiel espaces publics, un référentiel aménagement durable pour
leur ZAC (2007), etc.
A l'échelle de l'Europe, comment se situe la France, dans ce domaine ?
La
France est en retard par rapport aux pays nordiques, l’Allemagne ou
l’Autriche, par exemple. Ce n’est pas grave mais il ne faut pas pour
autant brûler les étapes ni céder aux effets de mode.
Le risque
aujourd’hui, en France, est l'effet «vitrine» et la confusion entre
«projet de quartier durable» et «projet exemplaire» (sur un thème tel
que l’énergie et le gaz à effet de serre ou sur le plan
environnemental). Ce risque est d’ailleurs accentué par le choix du
seul terme d’éco-quartier.
De nombreux élus veulent leur écoquartier
pendant leur mandat, sans avoir élaboré de stratégie de développement
durable à l’échelle de l’ensemble du territoire.
De plus, certains
élus ont une vision très restreinte du développement urbain durable ou
de l’urbanisme durable. Nombreux sont ceux qui privilégient le choix
d’un grand nom de l’architecture (contribuant à l’effet vitrine
recherché) au détriment d’une réelle ingénierie technique et économique.
Le
choix risque donc de se porter sur des projets d’aménagement en
périphérie urbaine, sans réelle démarche de développement urbain
durable. Le risque est réel de voir des lotissements aggravant
l’étalement urbain baptisés «écoquartiers » au prétexte d’une, ou de
quelques bonnes pratiques thématiques, notamment environnementales
(bâtiments à énergie positive par exemple).
Pour atteindre les
objectifs du Grenelle de l’environnement, nous devons rechercher
l’effet de masse (grâce à des stratégies territoriales et
patrimoniales) tout en traitant les quartiers et les bâtiments
existants et en montant les partenariats qui permettront d’identifier
les techniques de construction et de réhabilitation les plus efficaces
économiquement (notamment pour les bâtiments existants, grâce à une
analyse en coût global élargi et partagé).
En période de crise
économique il est important d’élaborer des outils d’évaluation et de ne
pas se focaliser uniquement sur l'environnement (en mesurant les
impacts sociaux et économiques des solutions environnementales
retenues). Il s'agit d'aborder en même temps les 3 piliers du
développement durable, de se doter de nouveaux outils d'analyse, de
financement, d'évaluation (analyse coût/efficacité notamment), de
nouvelles méthodes de travail.
* «L'urbanisme durable – concevoir un écoquartier», éd. Le Moniteur, 295 pages, 59 euros