posté le 15-04-2009 à 08:39:12
Grand Paris : désordre apparent, ordre caché, par Paul Chemetov et Michel Lussault
LE MONDE | 11.04.09 | 13h32 • Mis à jour le 11.04.09 | 13h32
Ecoutant les exposés des équipes sollicitées pour réfléchir au
devenir de la métropole parisienne, par-delà les avancées ou les
insuffisances de réponses pressées par le temps, il paraît nécessaire
de poser les objectifs à plus long terme d'une telle consultation.
Qu'un pays comme la France puisse avoir comme capitale une métropole
qui fait jeu égal avec New York, Londres ou Tokyo, bien devant les
capitales de pays infiniment plus peuplés et même économiquement plus
prospères montre la singularité française et par là même, en un
apparent paradoxe, nourrit un sentiment de fragilité, plus
psychologique que réel.
Paris et le désert français, paru en 1947, eut on le sait un écho
considérable. Cette mise en cause de la ville tentaculaire, de cette
pompe aspirante se nourrissant comme une pieuvre du sang de la vraie
France, reprenait les positions malthusiennes de l'avant-guerre.
Il y a un demi-siècle, le volontarisme des villes nouvelles, "ces cités
antibanlieues", construisait du neuf par lequel la capitale pourrait
régner. Ce choix qui se débarrassait du cadre utile du département de
la Seine, était un choix d'agglomération, un choix prémétropolitain.
Que l'action de Paul Delouvrier : autoroutes, aéroports, défense et
villes nouvelles, RER enfin, ait permis de faire fonctionner
l'agglomération, nul n'en doute. Mais la force propulsive de ce schéma
est épuisée. Il nous lègue un périmètre de travail, une situation de
déséquilibre est-ouest, qui n'a pas été réduite, un distendu urbain,
qui constituent des données métropolitaines.
Et que dire des nouvelles situations qui se sont imposées depuis lors ?
Si l'inscription des villes nouvelles dans le projet métropolitain est
évidente, en revanche, celle de la place et des rôles des aires
aéroportuaires reste posée. La question des grands ensembles est d'une
difficulté plus grande encore. On peut rêver de tous les démolir, ce
n'est pas répondre à la question de leur transformation et de leur
inclusion comme au devenir de ceux qui y habitent. Comment accepter des
poches de vie sous-développées, bien que proches du centre de la
capitale, parce qu'il faut pour les atteindre plus d'une heure de
trajet.
La plus grande difficulté est de voir et de comprendre la réalité
métropolitaine d'aujourd'hui, d'une complexité que tous reconnaissent,
et de savoir comment, dans quel temps, et avec quels moyens, on peut
mettre en mouvement une situation pour tirer parti de ce qui est.
Comment transformer ce qui vit, ce qui existe, pour le rendre davantage
métropolitain. Et puisque certains évoquent la compétitivité et
l'attractivité des métropoles, ce qui les distingue est aussi ce qui
leur donne leur rang. C'est la singularité de la métropole parisienne
qu'il faut renforcer sans reproduire des modèles qui découlent d'autres
histoires, d'autres géographies ou d'autres cultures.
Il était demandé aux équipes de réfléchir à la métropole de
l'après-Kyoto. Est-ce en imaginant des prothèses à la situation
actuelle, quelques panneaux photovoltaïques, quelques éoliennes, des
circulations douces ou des moteurs hybrides qu'on peut y répondre ?
Non, bien sûr : c'est d'un monde autre, d'une autre façon de voir et de
développer ce monde qu'il s'agit. Et pour prendre un exemple, ce n'est
pas au moment où le modèle du centre commercial géant de rase campagne,
au milieu de ses champs de parkings, commence à vaciller, qu'il faut
proposer des développements urbains de même type, sur le plateau de
Saclay ou ailleurs.
La métropole n'est pas une cité idéale, une utopie, mais une réalité
protéiforme. L'objectif est bien celui d'une construction à partir de
l'existant. Certains le disent. C'est le statut de l'existant, du
déjà-là, qu'il nous faut d'abord transformer dans notre perception et
nos têtes, et n'est pas radical celui qui entend faire du nouveau
seulement à partir de la table rase.
En matière urbaine, il n'y a que la guerre qui y parvient. La
transformation soutenable consiste à prendre ce qui existe, à le
réemployer pour l'inscrire dans la durée ; la durée, ce n'est pas
l'éternité, c'est le passage de témoin des mémoires, des choses et des
hommes. Pour y parvenir, une évidence : moins d'esprit de système et
plus d'à-propos. Ce n'est pas d'un nouveau plan des artistes que nous
avons besoin.
Les mobiles de Calder fournissent un modèle spatial assez
compréhensible du fonctionnement métropolitain. Système complexe, qui
tire son mouvement de l'extrême imbrication de ses topologies, mais
aussi de leurs différences de densité, de surfaces, d'accroches.
Evidemment, on ne peut transposer terme à terme, ce qui n'est qu'une
sculpture, fût-elle spatiale, mais retenons comme une simulation
intéressante de l'urbanité contemporaine la motricité de l'équilibre
instable de chaque mobile, sans cesse recomposé par l'ajout d'un nouvel
élément, par le décentrement d'une connexion.
Il faut savoir quelles interconnexions sont nécessaires pour mieux
faire fonctionner l'économie des flux et des stocks actuels ; et de
quels équipements, de quels logements, de quels emplois nous avons
besoin pour faire jouer leur place métropolitaine aux noeuds les plus
évidents de l'agglomération.
L'intérêt de la consultation en cours, lancée alors que la crise
mondiale n'en était qu'à ses signes avant-coureurs, pose une question
qui concerne la société française tout entière. Paris, la métropole
parisienne sont historiquement une question nationale. Cette question
ne peut se résoudre par une exposition de maquettes. Elle doit être
éclairée par le travail de ce que l'on souhaiterait appeler par
anticipation l'Ecole de Paris.
La question urbaine est la question sociale du XXIe siècle, il serait
utile pour le succès même des études en cours qu'elles se prolongent
pour interroger la situation et constituer le corps, aujourd'hui
dispersé entre trop d'institutions, des faits avérés de la métropole
parisienne.
Une bonne gouvernance est aussi à ce prix. Car vouloir, avant de
comprendre exactement ce qu'est la métropole parisienne, et choisir une
forme d'organisation qui vaudrait projet et imposerait son ordre face à
l'intrication des compétences actuelles, c'est se priver d'une vision
claire et en quelque sorte faire sien le vieux slogan "l'organisation
décide de tout". A rebours, il faut faire partager une politique
urbaine, rendue intelligible par l'opinion publique pour provoquer
l'acceptation d'une meilleure gouvernance du projet métropolitain.
Le mot prêté au général de Gaulle survolant avec Paul Delouvrier dans
un hélicoptère la région parisienne : "Mettez-moi de l'ordre dans ce
bordel !", ne peut devenir le slogan de la consultation. On a envie de
répondre en citant le vieil Emile Aillaud : "Désordre apparent, ordre
caché". C'est cet ordre, non hiérarchique et interterritorial, qui est
celui des métropoles, qu'il appartenait de discerner. Elles ont pour la
plupart répondu à cette attente. Ne laissons pas passer cette chance et
délaissons enfin les schémas épuisés des politiques territoriales.
Paul Chemetov, Architecte, Grand Prix national d'architecture
Michel Lussault, Géographe
Commentaires
Ben le problème, c'est que toutes ces propositions sont un magnifique "coup d'oeil sur l'enferr"...!!
Moi, je n'en veux pour rien au monde...!!
Je veux des cabanes... c'est mieux que tout ce merdier !!