VEF Blog

Titre du blog : L'URBANISTE QUI TENTE L'URBANISME DURABLE
Auteur : urbaniste
Date de création : 23-08-2008
 
posté le 01-06-2009 à 20:01:39

Pour un nouveau modèle de développement (2): Qu’est-ce qui a de la valeur?

  Pour un nouveau modèle de développement (2): Qu’est-ce qui a de la valeur?

 

Jean Louis BIANCO

 

1 juin 2009 <!-- by Jean-Louis Bianco -->
La valeur est un des plus vieux mots de la théorie économique. Adam Smith distingue la valeur d’usage et la valeur d’échange. Pour des biens non reproductibles, comme une œuvre d’art, la valeur réside selon lui dans la rareté. Pour un bien reproductible, la source de la valeur se trouve dans la quantité de travail nécessaire à sa production. Karl Marx distinguera le travail "vivant" et le travail "mort", c’est à dire le travail nécessaire à la production des "biens de production" (les machines).

Pour les économistes néo-classiques la valeur n’est pas une chose en soi : elle résulte d’un jugement des acteurs économiques, elle n’existe pas en dehors de la conscience des hommes.

D’ordinaire on ne cite pas Nietzsche dans les manuels d’économie. Il a pourtant dit quelque chose d’essentiel. Pour lui, la valeur c’est la préférence manifestée par un être vivant, en fonction des exigences de son soi et de ses conditions d’existence.

Ce qui nous amène à parler non plus de la valeur (économique) mais des valeurs (idéologiques). Autrement dit les idéaux auxquels les membres d’une société adhèrent et qui se manifestent concrètement dans leurs manières de penser, de sentir, d’agir.

Dans le monde contemporain, la valeur économique (mesurée en argent), tend à supplanter les valeurs, qui cimentent une société humaine.
Mieux. Jusqu’à il y a peu, nos jargonneurs d’entreprise, nos docteurs ès libéralisme n’avaient à la bouche pas d’autre mot que la "création de valeur". Pour désigner non pas la valeur économique mais tout simplement la valeurs des actions. Un bon manager est celui qui crée de la valeur pour les actionnaires, cela et rien d’autre. C’est le stade suprême de la perversion : on réduit l’homme à la marchandise, et la marchandise à un titre de Bourse. Friedrich List : "Celui qui élève des porcs est dans la société un membre productif et celui qui élève des hommes est un membre improductif".

 
La théorie économique doit se reconstruire (c’est en cours) en sortant de la théorie du choix rationnel. Pour John Elster (et d’autres), l’homme a des intérêts, des désirs et des visées. Il a également des valeurs et des croyances et compose ses préférences en fonction de ses émotions et des informations dont il dispose. Pour Amartya Sen, le prix Nobel d’économie, le dépassement de l’"homo economicus" suppose une analyse des identités multiples que porte chacun d’entre nous. Les priorités que nous choisissons parmi ces identités sont souvent en fonction du contexte. Georges Akerlof parle de "filtres de loyauté", c’est à dire le respect de normes morales ou culturelles.
 
Ce qui nous amène évidemment à la question du PIB et de la mesure du progrès. En écho à la réflexion de Hervé Hutin sur "l’ordre marchand", Karl Polanyi disait dès 1944 que la croyance aveugle aux vertus du marché conduisait à une impasse, parce qu’elle transformait en marchandises trois éléments réfractaires à ce traitement : le travail humain, la nature et la monnaie.
 
Sur le PIB,la meilleure synthèse a été faite par Dominique Méda dans l’ouvrage Au-delà du PIB, pour une autre mesure de la richesse.
Initialement on pensait (et certains pensent encore) que produire beaucoup permettait l’opulence pour tous. C’est l’argument développé par Adam Smith dans Recherche sur la nature et les causes de la richesse des Nations.
 
Rappelons les limites du PIB :
- Il ne valorise que l’activité conduisant à la production de biens et de services qui seront appropriés par des individus. Seul le travail rémunéré est considéré comme une activité digne d’intérêt : le temps avec les proches, le temps citoyen, le temps domestique sont comptés pour zéro.
- Le PIB ne s’intéresse pas aux inégalités.
- Il ne prend pas en compte les dégâts engendrés par la production,en particulier le capital écologique ou le patrimoine naturel.
 
Il faut donc  à la fois mesure le patrimoine naturel (Bernard Chevassus-au-Louis vient par exemple d’écrire un rapport sur l’Approche  économique de la biodiversité), mais aussi le capital "social" ou la qualité de la vie.
 
L’indicateur de Développement Humain (IDH) créé en 1990 par le PNUD (Programme des Nations-Unies pour le développement) combine le PIB par habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’instruction (taux d’alphabétisation et taux de scolarisation) en donnant un poids égal à chacune de ces trois dimensions. De nombreux autres indicateurs existent. Des initiatives intéressantes ont été prise par des pays, par exemple le Bonheur National Brut du Bhoutan, l’Indice de Bien-Etre Durable de l’État d’Acre, dans l’Amazonie brésilienne, ou encore l’Indicateur de Santé Sociale de la région française Nord-Pas-de-Calais.
 
Au total, il existe deux difficultés majeures :
- L’arbitraire des pondérations entre les différents critères.
- La complication dès lors qu’on veut être plus précis.

Il faudrait enfin que les citoyens puissent s’approprier ces évaluations, ce qui suppose évidemment, la démocratie participative au travers de conférences citoyennes. J’y reviendrai