La valeur est un des plus vieux mots de la théorie économique.
Adam Smith
distingue la valeur d’usage et la valeur d’échange. Pour des biens non
reproductibles, comme une œuvre d’art, la valeur réside selon lui dans
la rareté. Pour un bien reproductible, la source de la valeur se trouve
dans la quantité de travail nécessaire à sa production.
Karl Marx
distinguera le travail "vivant" et le travail "mort", c’est à dire le
travail nécessaire à la production des "biens de production" (les
machines).
Pour les économistes néo-classiques la valeur n’est pas une chose
en soi : elle résulte d’un jugement des acteurs économiques, elle
n’existe pas en dehors de la conscience des hommes.
D’ordinaire on ne cite pas Nietzsche
dans les manuels d’économie. Il a pourtant dit quelque chose
d’essentiel. Pour lui, la valeur c’est la préférence manifestée par un
être vivant, en fonction des exigences de son soi et de ses conditions
d’existence.
Ce qui nous amène à parler non plus de la valeur (économique) mais
des valeurs (idéologiques). Autrement dit les idéaux auxquels les
membres d’une société adhèrent et qui se manifestent concrètement dans
leurs manières de penser, de sentir, d’agir.
Dans le monde contemporain, la valeur économique (mesurée en
argent), tend à supplanter les valeurs, qui cimentent une société
humaine.
Mieux. Jusqu’à il y a peu, nos jargonneurs d’entreprise, nos docteurs
ès libéralisme n’avaient à la bouche pas d’autre mot que la "création
de valeur". Pour désigner non pas la valeur économique mais tout
simplement la valeurs des actions. Un bon manager est celui qui crée de
la valeur pour les actionnaires, cela et rien d’autre. C’est le stade
suprême de la perversion : on réduit l’homme à la marchandise, et la
marchandise à un titre de Bourse. Friedrich List : "Celui qui élève des porcs est dans la société un membre productif et celui qui élève des hommes est un membre improductif".
La théorie économique doit se reconstruire (c’est en cours) en sortant de la théorie du choix rationnel. Pour
John Elster
(et d’autres), l’homme a des intérêts, des désirs et des visées. Il a
également des valeurs et des croyances et compose ses préférences en
fonction de ses émotions et des informations dont il dispose. Pour
Amartya Sen,
le prix Nobel d’économie, le dépassement de l’"homo economicus" suppose
une analyse des identités multiples que porte chacun d’entre nous. Les
priorités que nous choisissons parmi ces identités sont souvent en
fonction du contexte.
Georges Akerlof parle de "filtres de loyauté", c’est à dire le respect de normes morales ou culturelles.
Ce qui nous amène évidemment à la question du
PIB et de la mesure du progrès. En écho à la réflexion de
Hervé Hutin sur "l’ordre marchand",
Karl Polanyi
disait dès 1944 que la croyance aveugle aux vertus du marché conduisait
à une impasse, parce qu’elle transformait en marchandises trois
éléments réfractaires à ce traitement : le travail humain, la nature et
la monnaie.
Rappelons les limites du PIB :
- Il ne valorise que l’activité
conduisant à la production de biens et de services qui seront
appropriés par des individus. Seul le travail rémunéré est considéré
comme une activité digne d’intérêt : le temps avec les proches, le
temps citoyen, le temps domestique sont comptés pour zéro.
- Le PIB ne s’intéresse pas aux inégalités.
- Il ne prend pas en compte les
dégâts engendrés par la production,en particulier le capital écologique
ou le patrimoine naturel.
Il faut donc à la fois mesure le patrimoine naturel (Bernard Chevassus-au-
Louis vient par exemple d’écrire un rapport sur l’
Approche économique de la biodiversité), mais aussi le capital "social" ou la qualité de la vie.
L’indicateur de Développement Humain (
IDH) créé en 1990 par le
PNUD
(Programme des Nations-Unies pour le développement) combine le PIB par
habitant, l’espérance de vie à la naissance et le niveau d’instruction
(taux d’alphabétisation et taux de scolarisation) en donnant un poids
égal à chacune de ces trois dimensions. De nombreux autres indicateurs
existent. Des initiatives intéressantes ont été prise par des pays, par
exemple le
Bonheur National Brut du
Bhoutan, l’
Indice de Bien-Etre Durable de l’État d’
Acre, dans l’Amazonie brésilienne, ou encore
l’Indicateur de Santé Sociale de la région française Nord-Pas-de-Calais.
Au total, il existe deux difficultés majeures :
- L’arbitraire des pondérations entre les différents critères.
- La complication dès lors qu’on veut être plus précis.
Il faudrait enfin que les citoyens
puissent s’approprier ces évaluations, ce qui suppose évidemment, la
démocratie participative au travers de conférences citoyennes. J’y
reviendrai
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